
CAMEROUN/PRESIDENTIELLES 2025 : LE PARI GARANT DE LA PAIX
Le Cameroun est entré dans une période sensible de sa vie politique depuis la proclamation des résultats de l’élection présidentielle du 12 octobre dernier. Le candidat Issa Tchiroma Bakary, clamant avoir remporté la présidentielle contre le président sortant Paul Biya sur la base de procès-verbaux peu fiables, avait appelé ses partisans à engager des mobilisations de rue lors de marches pacifiques dimanche, 26 Octobre 2025 à travers le pays. Une démarche que le gouvernement camerounais a interdite en y voyant « la mise en œuvre d’un projet insurrectionnel ».
En outre dès lundi, 27 Octobre, après la proclamation des résultats par le conseil constitutionnel, les habitants de la capitale économique ont vécu des scènes de casses et pillages d’une ampleur peu commune. Selon le Groupement des professionnels du pétrole (GPP) : « sous le prétexte de marches pacifiques, des hordes de manifestants s’en prennent systématiquement aux stations-service, qu’ils vandalisent et pillent ».
Dans le détail, énumère l’organisation corporatiste dans son message, « les sociétés membres du GPP emploient de manière cumulée, directement ou indirectement, plus de 10 000 jeunes camerounais. Elles assurent de l’activité à des milliers de PME à travers le pays. En outre, elles versent en impôts et taxes et prélèvements divers, en moyenne 250 milliards de FCFA par à l’Etat du Cameroun. Une station-service vandalisée et pillée, c’est en moyenne 20 emplois directs détruits, et deux PME qui ferment. Des jeunes camerounais qui se retrouvent au chômage sans y être préparés ».
Pis encore, sur des vidéos partagées sur les réseaux sociaux, l’on peut voir des scènes de destruction et de pillage des installations de Tradex, filiale de la Société nationale des hydrocarbures (SNH) spécialisée dans la distribution des produits pétroliers. Les points de vente du marketer Neptune Oil, appartenant à l’homme d’affaires camerounais Antoine Ndzengué, ainsi que les stations-service Bocom du milliardaire camerounais Dieudonnée Bogne, n’ont pas échappé à la furie des manifestants.
Il convient aussi de souligner que les stations-service ne sont pas la seule cible des manifestants. Plusieurs commerces ont également été pillés à travers le pays. A Douala, la capitale économique camerounaise, une agence du banquier Société Générale a été détruite et vidée de certains équipements informatiques. Des scènes de pillage d’une chambre froide du poissonnier Congelés du Cameroun – Congelcam – appartenant au milliardaire camerounais Sylvestre Ngouchingué, qui contrôle 80% du marché du poisson dans le pays, ont également été relayées sur les réseaux sociaux.
Si pour l’heure les pertes matérielles de ces événements d’une rare violence restent encore peu estimées, les observateurs s’inquiètent quant au risque de d’une insurrection armée ou d’une partition du territoire, si les tensions venaient à s’étendre.
Ces peurs sont justifiées par des déclarations incendiaires tenus par le candidat du Front pour le Salut National du Cameroun (FSNC) dans une déclaration publiée le 29 octobre où Monsieur Tchiroma affirme : « Qu’ils se réjouissent, qu’ils dansent — cela ne fait que commencer : la troisième étape commence bientôt. Vous avez Tchiroma en face de vous ; votre impunité touche à sa fin. Faire couler le sang du peuple fut une grave erreur ».
L’annonce de cette fameuse « troisième étape » de son plan de contestation laisse planer le spectre d’une nouvelle forme de revendication avec des éléments inhabituels dans le paysage politique camerounais.
En effet, une telle logique prend en compte le repli du candidat Issa Tchiroma Bakary dans sa ville natale de Garoua, dans la région du Nord, où il jouit d’un fort ancrage politique. Cette localité proche la frontière du Tchad, de la République centrafricaine et du Nigéria où sévit l’insurrection de la secte terroriste Boko Haram, reste particulièrement vulnérable. Les prises d’otages avec rançon y sont récurrentes, et plusieurs bandes armées sillonnent les villages frontaliers.
Selon l’enseignant-chercheur au Centre de recherches et d’études politiques et stratégiques de l’Université de Yaoundé II-Soa, Franck Ebogo, dans une interview accordée à nos confrères d’Investir au Cameroun, cette configuration géographique accroît le risque d’instabilité car :
« À côté de ces mobilisations publiques, il y a un risque que le dispositif de sécurité soit débordé, non seulement par ces manifestations, mais aussi par des attaques de groupes armés venus des zones frontalières, notamment dans le Nord-Ouest, le Sud-Ouest et l’Extrême-Nord », analyse-t-il.
Bien mieux, après des appels aux « villes-mortes » par monsieur Tchiroma et ses soutiens dans le cyber espace, des événements violents sont survenus dans la localité, jusqu’à lors restée calme, de Banyo. Dans cette ville de l’Adamaoua, des émeutes ont émaillé la journée du 03 Novembre dernier entrainant l’incendie de deux hauts fonctionnaires et du siège du parti au pouvoir, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC).
Ce climat explosif marqué par une paix précaire ne semble guère rassurer les experts qui craignent qu’un événement ne vienne plonger le pays dans le chaos. Pour ces-derniers, les messages ambiguës du président du FSNC sur sa résidence et sa sécurité constituent des éléments qui renforcent cette atmosphère électrique et préparent ses partisans à des actes de révolte ou de protestation violente.
Si les autorités sécuritaires et administratives camerounaises restent très fermes sur l’idée d’engager « des poursuites judiciaires contre Issa Tchiroma », l’absence de communication régulière sur sa situation et les actions entreprises pour ramener la sérénité apparaît comme la zone d’incertitude sur laquelle des forces obscures pourraient s’appuyer dans le cadre du déclenchement d’une vaste action insurrectionnelle sur fond de revendications communautaires et politiques.
Un tel scénario a déjà été observé dans le pays avec l’affaire Martinez Zogo, ce journaliste qui avait été enlevé et tué en janvier 2023 par un commando présumé issu de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE). L’enquête, encore en cours, a débouché sur l’interpellation de plusieurs suspects dont le principal accusé, l’homme d’affaires propriétaire du groupe de médias L’Anecdote, monsieur Jean Pierre Amougou Belinga. L’essentiel de l’accusation mobilisée étant constitué d’enregistrements d’émissions où le journaliste dénonce des pratiques présumées de corruption impliquant plusieurs personnalités, dont le magnat de la presse Jean Pierre Amougou Belinga.
Ainsi, dans la nuit du 2 Novembre, Monsieur Tchiroma affirmait avoir « échappé de justesse à une tentative d’arrestation », sans toutefois donner davantage de détails sur les circonstances exactes.
« Aucune de vos tentatives ne réussira. Cette mission est divine. Votre tentative d’attenter à ma personne me donne de plus en plus de détermination. Merci aux forces loyalistes pour leur réactivité. Le combat continue », a déclaré Issa Tchiroma Bakary.
Cette idée de « tentative d’attentat sur la personne » de celui qui incarne désormais le leadership de l’opposition camerounaise fait planer une épée de Damoclès sur la paix sociale dans ce pays et pourrait devenir le prétexte d’une lutte armée si elle se matérialisait.
Les autorités camerounaises, plutôt que de continuer à observer silencieusement la situation comme elles l’ont su faire jusqu’à présent, devraient mettre une emphase sur la communication afin de garantir la transparence des opérations engagées autour de ce dossier et consolider la confiance des citoyens. Dans ce contexte, une telle démarche permettrait de prévenir d’éventuels débordements et de maitriser un ensemble de variables s’il advenait malencontreusement et par inadvertance une infortune à l’ex-ministre.
Les camerounais, peuple attaché à la paix et à l’unité, ont déjà fait montre d’une maturité politique exceptionnelle en ces temps lourds de sens pour la cohésion sociale dans leur pays. Ils méritent de ce fait qu’une communication de crise efficace soit déroulée par l’appareil dirigeant à l’effet de déconstruire la psychose et tous les germes de la division.
A l’approche de la cérémonie de prestation de serment prévue selon des sources concordantes proches du Protocole d’État pour le jeudi 6 novembre, conformément aux dispositions de l’article 140 du Code électoral, qui prévoit un délai de quinze jours après la proclamation des résultats, le gouvernement camerounais devrait évacuer tout imbroglio susceptible de créer la surprise. Ce d’autant plus que le choix de cette date rappelle ce même jour où en 1982, Paul Biya accédait pour la première fois à la magistrature suprême, après la démission du président Ahmadou Ahidjo.
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